Claude Bard
L’homme terrassé par ses mots. 2 février 2020
Chaque jour me trouve, comme chaque jour, devant ma feuille de papier, à roupiller ; grasse matinée, face au carré blanc, concevoir l’immaculée sans trop y toucher, c’est mon viatique pour la journée. J’en étais là de cette somnolence, dont on ne sait pas où elle nous porte, quand soudain, je trace un mot, puis un autre, cela m’arrivait, en fin de parcours, de plébisciter ce qui se présentait. Oh, ne vous pressez pas de conclure, il n’y a rien là que de très ordinaire, besoins naturels, on évacue ce qui vous estomaque, vous voyez bien ce que je veux dire.
Ces mots, je ne les lis pas, les regarde, traits graciles ou gras, ils dansent pour moi. Je songe qu’un moment avant, ils n’existaient pas, et le moment d’avant encore, je n’existais pas. Comment ne pas se réjouir ?
Pendant ce temps, un mot plus gros que les autres, lourd de sens, harangue alentour ce qui se fait de mieux en attelage. Il veut aller plus loin et cherche un équipage. Au fringant destrier qui se présente, ordonne d’aller devant, cherche encore la compagnie d’une demoiselle qui l’adjectiverait bien et rejette à la fin son meilleur ami, au prétexte qu’il le subordonne.
Je vois le manège, m’en amuse, hélas, sans bien savoir pourquoi, il me prend l’envie d’intervenir dans cette querelle de mots qui ne me regarde pas. Je vise le gros mot, celui qui pète plus haut que son corps, je le biffe, rageur, le voilà recouvert par les traits furieux de ma dictature. Et savez-vous quoi, je reste le crayon suspendu, je me mets à pleurer.
C’est dur un mot qui meurt, tu sais ! Je ne m’en remets pas vraiment. Surtout que rien ne vient, qui le remplacerait. Rien ne viendra plus jamais, c’est ma pénitence, me voilà à penser aux sentences divines, sans voir en bas, l’orage qui se fait.
C’est un trait de ce siècle que les petites mains s’agitent uniment pour se signifier. En bas, sonne la révolte, les mots quittent l’endroit pour lequel ils sont faits, ils m’attaquent et s’emparent de moi. En trois mouvements, on me ligote comme le géant du livre énorme qu’on lisait autrefois. Voilà l’apostrophe qui dicte la menace, on ne me relâchera qu’à cette condition : « il faut ressusciter d’entre les mots, le mot qui nous guidait ».
Mais comment faire revenir ce qui a disparu ? Sous les traits, rien ne figure plus, je n’ai pas le moindre souvenir du mot que j’ai occis. Me voilà emmené jusque dans l’assemblée des mots qui gardent tous les mots, on me somme d’agir, je ne sais pas quoi faire. Aristote disait qu’il faut mimésimer quand on n’a pas d’idée. Je propose un jeu : nommer le disparu pour qu’il se reconnaisse. On fait un cercle, il faut parler en clair, que de bien nécessaire et ne jamais mentir : en cadence, chacun chante son mot, on propose la vie, l’amour, le bonheur et le temps, on propose la mort mais rien n’évoque ce qui manque toujours.
Le soir tombe, je me suis éloigné du cercle où fusent encore quelques identités. J’avise un mot discret qui se voile la face. Il se tient en retrait, ne participe pas. Je le reconnais, c’est le mot recherché, c’est le ressuscité : « Poésie, te voilà revenue ! ». Comme je m’avance, il me tient à distance : « Ne me touche pas, c’est seulement moi qui te touche ». Et il part dans le ciel des idées.
Depuis lors, quand j’écris, je ne fais que prêter ma main aux mots, espérant poésie sans plus rien demander.
Marie Dandoy
Anne Dumonteil
Marie Dandoy
Esquisse hivernale 7 février 2020
Anne Dumonteil
Plante en pot 17 février 2020
Sylvie Rieu
Véronique Balfour
Le sourire 27 Février 2020
Elle parlait au téléphone à l’arrêt du bus, voix gutturale, stridente.
Je me retourne, nous nous regardons - moment de complicité
soudaine et mystérieuse lorsqu’un sourire fulgurant éclaire son visage comme une fenêtre grande
ouverte, spacieuse.
Elle parle à
quelqu’un dans une banlieue lointaine, je suppose, de secrets de femmes,
d’enfants turbulents, de joies et de peines, de tout et de rien, que
sais-je ?
Brèche joyeuse, rayon de soleil.
Puis elle rejoint la foule et s’engouffre dans le bus.
Antoine Panaite
Le corps de ma grand-mère 27 février 2020
Le long des rides de son bras, sur
cette peau patinée par le temps, mes doigts et la paume de ma main se sont
longtemps promenés, s’imprimant patiemment d’une mémoire infinie.
Les yeux de ma grand-mère, je les ai
regardés longtemps. J'ai voulu les saisir et les garder pour moi mais ce sont
eux qui m'ont tout pris lorsqu'ils m'ont dit je t'aime, me laissant démuni et
nu.
L'odeur de ma grand-mère, en
embrassant son front, m'a laissé ivre de son souvenir pour toujours.
Son souffle, sur mon cou ou mon
visage, a rendu palpable l'indicible lien qui nous unit.
Et son
dernier soupir ;
L'immortelle
fragilité du monde.
Sur le chemin du retour...
RépondreSupprimerTrois petites filles aux cheveux blancs
S’arrêtent
Chez le marchand d' instruments.
Dans la boutique feutrée, que de merveilles insoupçonnées !
Un tambour, élégamment orné d’entrelacs celtiques colorés,
Un escargot jaune et vert,
Des notes noires sur gommes blanches,
Une boîte de médiators, trésors multicolores.
Et des guitares, et des guitares sagement rangées sur deux files,
Prêtes à danser jusqu'au plafond,
Enchantées par la lyre d'Orphée tout à côté, tout à côté...